top of page

Liquidation amiable et liquidation judiciaire : quelles différences ?

  • Photo du rédacteur: Kahina BENNOUR
    Kahina BENNOUR
  • 8 oct.
  • 8 min de lecture


La distinction entre liquidation amiable et liquidation judiciaire est fondamentale pour toute entreprise confrontée à la cessation de son activité. Ces deux procédures, bien que poursuivant le même objectif de mettre fin à l’existence d’une société et de régler son passif, obéissent à des régimes juridiques distincts, tant dans leurs conditions d’ouverture que dans leur déroulement et leurs conséquences. Cet article propose une analyse détaillée, fondée exclusivement sur les textes législatifs et la jurisprudence récente, afin d’éclairer les professionnels du droit, les chefs d’entreprise et les créanciers sur les différences essentielles entre ces deux modes de liquidation.

En synthèse, la liquidation amiable est une procédure volontaire, décidée par les associés lorsque la société n’est pas en état de cessation des paiements, tandis que la liquidation judiciaire est une procédure collective, imposée par le tribunal lorsque l’entreprise est en cessation des paiements et que tout redressement est manifestement impossible. Les responsabilités du liquidateur, les droits des créanciers et les conséquences pour la société diffèrent sensiblement selon la procédure engagée, comme l’illustrent de nombreux arrêts de cour d’appel et de la Cour de cassation.


Liquidation amiable ou liquidation judiciaire Crédit photo: Me Kahina BENNOUR

Cadre légal de la liquidation amiable et de la liquidation judiciaire

La liquidation amiable, également appelée liquidation volontaire, est régie par les dispositions du Code de commerce relatives à la dissolution des sociétés commerciales. Selon l'Article L237-18 du Code de commerce, "Un ou plusieurs liquidateurs sont désignés par les associés, si la dissolution résulte du terme statutaire ou si elle est décidée par les associés." Ce texte précise les modalités de nomination du liquidateur selon la forme sociale, consacrant ainsi le caractère interne et consensuel de la liquidation amiable.

Le liquidateur amiable, une fois désigné, dispose de pouvoirs étendus pour réaliser l’actif et apurer le passif de la société. L'Article L237-24 du Code de commerce dispose que "Le liquidateur représente la société. Il est investi des pouvoirs les plus étendus pour réaliser l'actif, même à l'amiable. Les restrictions à ces pouvoirs, résultant des statuts ou de l'acte de nomination, ne sont pas opposables aux tiers. Il est habilité à payer les créanciers et répartir le solde disponible." Ce texte consacre la mission principale du liquidateur amiable : apurer le passif et répartir le boni de liquidation entre les associés.

En revanche, la liquidation judiciaire est une procédure collective, ouverte par le tribunal lorsque l’entreprise est en état de cessation des paiements et que le redressement est manifestement impossible. L'Article L640-1 du Code de commerce dispose : "Il est institué une procédure de liquidation judiciaire ouverte à tout débiteur mentionné à l'article L. 640-2 en cessation des paiements et dont le redressement est manifestement impossible. La procédure de liquidation judiciaire est destinée à mettre fin à l'activité de l'entreprise ou à réaliser le patrimoine du débiteur par une cession globale ou séparée de ses droits et de ses biens." Ce texte pose les conditions d’ouverture et l’objectif de la liquidation judiciaire : la cessation de l’activité et la réalisation de l’actif au profit des créanciers.

Le tribunal désigne alors un liquidateur judiciaire, dont les pouvoirs et les missions sont strictement encadrés par la loi. L'Article L641-1 du Code de commerce précise : "Dans le même jugement, sans préjudice de la possibilité de nommer un ou plusieurs experts en vue d'une mission qu'il détermine, le tribunal désigne, en qualité de liquidateur, un mandataire judiciaire inscrit ou une personne choisie sur le fondement du premier alinéa du II de l'article L. 812-2 ou, pour les procédures mentionnées au III de ce même article, un huissier de justice ou un commissaire-priseur judiciaire." Le liquidateur judiciaire agit sous le contrôle du juge-commissaire et dans l’intérêt collectif des créanciers.


Déroulement et conséquences de la liquidation amiable

La liquidation amiable intervient lorsque la société n’est pas en état de cessation des paiements. Elle est décidée par les associés, qui nomment un ou plusieurs liquidateurs chargés de réaliser l’actif, d’apurer le passif et de répartir le solde entre les associés. Le liquidateur amiable doit veiller à l’apurement intégral du passif avant de procéder à la clôture de la liquidation.

La jurisprudence rappelle avec constance que le liquidateur amiable engage sa responsabilité s’il clôture la liquidation sans avoir réglé l’intégralité du passif ou sans avoir constitué une provision suffisante pour les dettes connues ou prévisibles. Ainsi, la Cour d'appel de Paris, Pôle 5 chambre 8, 3 septembre 2024, n° 22/06232 rappelle que "La liquidation amiable d'une société impose l'apurement intégral du passif et le liquidateur amiable engage sa responsabilité s'il clôture les opérations de liquidation sans satisfaire à cette règle ou sans constituer une provision suffisante." Dans cette affaire, le liquidateur avait omis de prendre en compte une créance certaine, ce qui a justifié sa condamnation à indemniser le créancier lésé.

De même, la Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 19 octobre 2017, n° 16/07505 rappelle que "la liquidation amiable d'une société impose l'apurement intégral du passif, les créances litigieuses devant, jusqu'au terme des procédures en cours, être garanties par une provision, de sorte qu'engage sa responsabilité le liquidateur amiable qui omet de prendre en considération dans les comptes de liquidation une créance, même litigieuse, sur la société dont il a connaissance." Cette exigence d’apurement intégral du passif est donc une constante jurisprudentielle.

La Cour d'appel de Versailles, Chambre commerciale 3 2, 18 mars 2025, n° 23/00189 synthétise la position de la jurisprudence : "Il est jugé, au visa de ce texte, de manière constante, que la liquidation amiable d'une société impose l'apurement intégral du passif, les créances litigieuses devant, jusqu'au terme des procédures en cours, être garanties par une provision, et qu'en l'absence d'actif social suffisant pour répondre du montant des condamnations éventuellement prononcées à l'encontre de la société, il appartient au liquidateur de différer la clôture de la liquidation et de solliciter, le cas échéant, l'ouverture d'une procédure collective contre la société." Le liquidateur amiable doit donc, en cas d’insuffisance d’actif, solliciter l’ouverture d’une procédure collective, c’est-à-dire une liquidation judiciaire.

La responsabilité du liquidateur amiable à l’égard des créanciers est également précisée par la Cour de cassation, Chambre commerciale, 25 juin 2013, 12-19.173, Publié au bulletin, qui juge que "Le délai de la prescription de l’action en responsabilité engagée par un créancier à l’encontre d’un liquidateur amiable d’une société au titre des fautes qu’il aurait commises dans l’exercice de ses fonctions commence à courir le jour où les droits du créancier ont été reconnus par une décision de justice passée en force de chose jugée." Cette solution protège les créanciers contre les manquements du liquidateur amiable.

Enfin, la Cour d'appel de Metz, 3ème chambre, 25 mars 2021, n° 19/01305 rappelle que "la société en liquidation suite à sa dissolution amiable conservant sa personnalité morale et sa capacité à ester en justice aussi longtemps que les droits et obligations à caractère social n'ont pas été liquidés." Le liquidateur amiable représente la société dans toutes les actions en justice nécessaires à la liquidation.


Déroulement et conséquences de la liquidation judiciaire

La liquidation judiciaire est une procédure collective, ouverte par le tribunal lorsque l’entreprise est en état de cessation des paiements et que tout redressement est manifestement impossible. L'Article L640-1 du Code de commerce dispose que "La procédure de liquidation judiciaire est destinée à mettre fin à l'activité de l'entreprise ou à réaliser le patrimoine du débiteur par une cession globale ou séparée de ses droits et de ses biens." Cette procédure vise donc à organiser la cessation de l’activité et la réalisation de l’actif au profit des créanciers.

Le tribunal désigne un liquidateur judiciaire, qui agit sous le contrôle du juge-commissaire. L'Article L641-1 du Code de commerce précise que "le tribunal désigne, en qualité de liquidateur, un mandataire judiciaire inscrit ou une personne choisie sur le fondement du premier alinéa du II de l'article L. 812-2 ou, pour les procédures mentionnées au III de ce même article, un huissier de justice ou un commissaire-priseur judiciaire." Le liquidateur judiciaire a pour mission de réaliser l’actif, de vérifier les créances et de répartir le produit de la liquidation entre les créanciers selon l’ordre légal.

L'Article L641-4 du Code de commerce dispose que "Le liquidateur procède aux opérations de liquidation en même temps qu'à la vérification des créances. Il peut introduire ou poursuivre les actions qui relèvent de la compétence du mandataire judiciaire." Ce texte souligne le caractère collectif de la procédure, qui vise à traiter l’ensemble des créances selon un ordre légalement déterminé.

La liquidation judiciaire entraîne le dessaisissement du débiteur, qui ne peut plus agir pour le compte de la société. La Cour d'appel de Lyon, du 12 mai 2005 rappelle que "la société prend fin, et est donc dissoute, par l’effet d’un jugement ordonnant la liquidation judiciaire et aucun événement ultérieur ne peut la faire revivre, la personnalité morale ne subsistant que pour les besoins de la liquidation. L’article L 622-9 du Code de commerce dispose que le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit dessaisissement du débiteur, de sorte que la société ne pouvait, postérieurement à cette date, faire désigner un liquidateur amiable." Ainsi, la gestion de la société est entièrement transférée au liquidateur judiciaire.

La Cour de Cassation, Chambre commerciale, du 12 avril 2005, 04-11.994, Publié au bulletin précise que "le débiteur, bien qu'en liquidation, doit agir par l'intermédiaire d'un liquidateur ou d'un mandataire ad hoc, et que l'ancien dirigeant n'avait pas qualité pour relever appel." Cette solution protège l’intérêt collectif des créanciers et assure la centralisation de la gestion de la liquidation.

La liquidation judiciaire peut également être simplifiée dans certains cas, comme le prévoit l'Article L641-2 du Code de commerce : "Il est fait application de la procédure simplifiée prévue au chapitre IV du présent titre si l'actif du débiteur ne comprend pas de bien immobilier et si le nombre de ses salariés au cours des six mois précédant l'ouverture de la procédure ainsi que son chiffre d'affaires hors taxes sont égaux ou inférieurs à des seuils fixés par décret." Cette procédure vise à accélérer la liquidation des petites entreprises.


Responsabilité du liquidateur amiable et du liquidateur judiciaire

La responsabilité du liquidateur amiable est particulièrement encadrée par la jurisprudence. Selon l'Article L237-24 du Code de commerce, "Le liquidateur représente la société. Il est investi des pouvoirs les plus étendus pour réaliser l'actif, même à l'amiable. [...] Il est habilité à payer les créanciers et répartir le solde disponible." La jurisprudence exige que le liquidateur amiable procède à l’apurement intégral du passif, y compris en provisionnant les dettes litigieuses ou futures.

La Cour d'appel de Paris, Pôle 5 chambre 8, 3 septembre 2024, n° 22/06232 et la Cour d'appel de Versailles, Chambre commerciale 3 2, 18 mars 2025, n° 23/00189 rappellent que le liquidateur amiable engage sa responsabilité s’il omet de régler une créance certaine ou de constituer une provision suffisante. En cas d’insuffisance d’actif, il doit solliciter l’ouverture d’une procédure collective.

La responsabilité du liquidateur judiciaire est également encadrée, mais elle s’exerce dans le cadre d’une procédure collective, sous le contrôle du juge-commissaire. Le liquidateur judiciaire doit respecter l’ordre des créanciers et veiller à la préservation des droits de chacun. Les créanciers disposent de voies de recours spécifiques en cas de manquement du liquidateur judiciaire.


Conséquences pour la société et les créanciers

La liquidation amiable permet, en principe, une gestion plus souple et plus rapide de la dissolution de la société, sous réserve de l’apurement intégral du passif. Les créanciers peuvent agir contre le liquidateur amiable en cas de manquement à ses obligations, comme l’illustre la Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 19 octobre 2017, n° 16/07505.

En liquidation judiciaire, la société est dessaisie de sa gestion, et les créanciers sont soumis à la discipline collective de la procédure. Les droits des créanciers sont traités selon un ordre légal, et les recours contre le liquidateur judiciaire sont encadrés par la loi.

La Cour de cassation, Chambre commerciale, 25 juin 2013, 12-19.173, Publié au bulletin précise que le délai de prescription de l’action en responsabilité contre le liquidateur amiable court à compter de la reconnaissance définitive des droits du créancier, ce qui protège les créanciers contre les manquements du liquidateur.


Conclusion

La liquidation amiable et la liquidation judiciaire poursuivent le même objectif de mettre fin à l’existence d’une société et de régler son passif, mais elles obéissent à des régimes juridiques distincts. La liquidation amiable est une procédure volontaire, interne à la société, qui suppose l’absence de cessation des paiements et impose au liquidateur amiable l’apurement intégral du passif. En cas d’insuffisance d’actif, le liquidateur amiable doit solliciter l’ouverture d’une procédure collective.

La liquidation judiciaire, quant à elle, est une procédure collective, imposée par le tribunal en cas de cessation des paiements et d’impossibilité manifeste de redressement. Elle entraîne le dessaisissement du débiteur et la gestion centralisée de la liquidation par un liquidateur judiciaire, sous le contrôle du juge-commissaire.

La jurisprudence rappelle avec constance la rigueur des obligations pesant sur le liquidateur amiable, dont la responsabilité peut être engagée en cas de manquement à l’apurement du passif. Les créanciers disposent de voies de recours spécifiques pour faire valoir leurs droits, tant en liquidation amiable qu’en liquidation judiciaire.

bottom of page