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L’action en comblement de passif après la liquidation judiciaire

  • Photo du rédacteur: Kahina BENNOUR
    Kahina BENNOUR
  • 16 sept.
  • 11 min de lecture

L’action en comblement de passif constitue l’un des mécanismes les plus redoutés par les dirigeants d’entreprise confrontés à une procédure de liquidation judiciaire. Elle permet, sous certaines conditions strictes, de faire supporter tout ou partie de l’insuffisance d’actif de la société à ses dirigeants, de droit ou de fait, lorsque des fautes de gestion ont contribué à l’aggravation de la situation financière. Cet article propose une analyse complète du régime juridique de l’action en comblement de passif, de ses conditions de mise en œuvre à ses conséquences, en s’appuyant sur la législation en vigueur et la jurisprudence la plus récente.

En synthèse, l’action en comblement de passif ne peut être engagée qu’en présence d’une insuffisance d’actif avérée, résultant de fautes de gestion imputables à un ou plusieurs dirigeants, à l’exclusion de la simple négligence. La jurisprudence précise que la charge de la preuve pèse sur le liquidateur ou le ministère public, et que la responsabilité du dirigeant ne peut être engagée que si un lien de causalité direct est établi entre la faute et l’insuffisance d’actif. Par ailleurs, l’action en comblement de passif se distingue fondamentalement des actions en responsabilité civile ou pénale, tant par son objet que par ses conditions de recevabilité.

action en comblement de passif
Tribunal de commerce de Paris Crédit photo: Kahina BENNOUR

Fondements législatifs de l’action en comblement de passif

L’action en comblement de passif trouve son principal fondement dans l’Article L651-2 du Code de commerce qui dispose : "Lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la personne morale, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée. Lorsque la liquidation judiciaire concerne une association régie par la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association ou, le cas échéant, par le code civil applicable dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle et non assujettie à l'impôt sur les sociétés dans les conditions prévues au 1 bis de l'article 206 du code général des impôts, le tribunal apprécie l'existence d'une faute de gestion au regard de la qualité de bénévole du dirigeant. Lorsque la liquidation judiciaire a été ouverte ou prononcée à raison de l'activité d'un entrepreneur individuel à responsabilité limitée à laquelle un patrimoine est affecté, le tribunal peut, dans les mêmes conditions, condamner cet entrepreneur à payer tout ou partie de l'insuffisance d'actif. La somme mise à sa charge s'impute sur son patrimoine non affecté. Lorsque la liquidation judiciaire a été ouverte ou prononcée à l'égard d'un entrepreneur individuel relevant du statut défini à la section 3 du chapitre VI du titre II du livre V du présent code, le tribunal peut également, dans les mêmes conditions, condamner cet entrepreneur à payer tout ou partie de l'insuffisance d'actif. La somme mise à sa charge s'impute sur son patrimoine personnel. L'action se prescrit par trois ans à compter du jugement qui prononce la liquidation judiciaire. Les sommes versées par les dirigeants ou l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée entrent dans le patrimoine du débiteur. Elles sont réparties au marc le franc entre tous les créanciers. Les dirigeants ou l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée ne peuvent pas participer aux répartitions à concurrence des sommes au versement desquelles ils ont été condamnés."

Ce texte pose les conditions cumulatives de l’action : existence d’une liquidation judiciaire, constat d’une insuffisance d’actif, faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance, et lien de causalité entre la faute et le préjudice. Il précise également que la simple négligence ne suffit pas à engager la responsabilité du dirigeant.

L’Article L651-3 du Code de commerce complète ce dispositif en organisant la saisine du tribunal : "Dans les cas prévus à l'article L. 651-2, le tribunal est saisi par le liquidateur ou le ministère public. Dans l'intérêt collectif des créanciers, le tribunal peut également être saisi par la majorité des créanciers nommés contrôleurs lorsque le liquidateur n'a pas engagé l'action prévue au même article, après une mise en demeure restée sans suite dans un délai et des conditions fixés par décret en Conseil d'Etat. Les dépens et frais irrépétibles auxquels a été condamné le dirigeant, l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée ou l'entrepreneur individuel relevant du statut défini à la section 3 du chapitre VI du titre II du livre V sont payés par priorité sur les sommes versées pour combler le passif."

L’Article R651-6 du Code de commerce précise les modalités de détermination du montant du passif mis à la charge du dirigeant déjà soumis à une procédure collective : "Lorsqu'un dirigeant d'une personne morale ou un entrepreneur est déjà soumis à une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaires, le montant du passif mis à sa charge est déterminé après mise en cause du mandataire judiciaire ou du liquidateur désigné dans la procédure à laquelle il est soumis. La décision de condamnation est portée par le greffier sur l'état des créances de la procédure à laquelle l'intéressé est soumis ou transmise au greffier compétent pour y procéder."


Conditions de recevabilité et de fond de l’action en comblement de passif

L’action en comblement de passif ne peut prospérer que si plusieurs conditions sont réunies. La jurisprudence a précisé la portée de ces exigences.

La première condition est l’existence d’une insuffisance d’actif, c’est-à-dire un solde négatif entre le passif exigible et l’actif réalisable au jour où le juge statue. La Cour d’appel d’Angers rappelle que "l'insuffisance d'actif correspond au montant négatif subsistant entre le passif admis et l'actif réalisé ou réalisable. Le passif à prendre en compte est celui existant avant le jugement d'ouverture de la procédure collective. L'insuffisance d'actif s'apprécie au jour où le juge statue." (Cour d'appel d'Angers, Chambre a - commerciale, 18 janvier 2022, n° 17/02316).

La deuxième condition est la démonstration d’une ou plusieurs fautes de gestion imputables au dirigeant, ayant contribué à l’insuffisance d’actif. La simple négligence est expressément exclue par la loi, comme l’a confirmé la Cour d’appel de Rouen, qui précise que la loi du 9 décembre 2016, écartant la responsabilité du dirigeant en cas de simple négligence, s’applique immédiatement aux procédures collectives en cours et aux instances en responsabilité en cours (Cour d'appel de Rouen, Ch. civile et commerciale, 14 mars 2019, n° 18/02269).

La troisième condition est le lien de causalité entre la faute de gestion et l’insuffisance d’actif. Il ne suffit pas de démontrer une faute, il faut encore établir que cette faute a contribué à l’aggravation du passif. La Cour d’appel de Bastia a ainsi jugé que "la condition préalable au succès de l'action en comblement de l'insuffisance d'actif, à savoir précisément l'existence d'une insuffisance d'actif pouvant être retenue à l'égard du dirigeant responsable, fait défaut à la date où la cour statue. Par suite, le liquidateur doit être débouté de son action sans qu'il y ait de statuer sur les fautes qu'il impute au dirigeant, ces fautes, même à les supposer établies, ne pouvant être à l'origine d'une insuffisance d'actif dont le dirigeant doit répondre." (Cour d'appel de Bastia, 4 juin 2014, 12/00995).

Enfin, la prescription de l’action est de trois ans à compter du jugement de liquidation judiciaire, conformément à l’Article L651-2 du Code de commerce.


Procédure et droits de la défense

La procédure d’action en comblement de passif est encadrée par des règles strictes, destinées à garantir les droits de la défense du dirigeant poursuivi. La Cour d’appel d’Angers a rappelé que "l’action en comblement de passif est soumise à des formes particulières. Doit être annulé le jugement déclarant recevable et bien fondée la demande en comblement de passif dès lors que ces formes particulières, qui constituent autant de garanties pour le dirigeant social incriminé, s’apparentant à des droits de la défense, et dont on ne peut considérer l’application comme facultative, n’ont pas été respectées." (Cour d'appel d'Angers, du 2 octobre 2000, 1999/01696).

Le tribunal ne peut donc statuer que si la procédure a été menée dans le respect des droits du dirigeant, notamment en ce qui concerne la convocation, la communication des pièces et la possibilité de présenter une défense effective.


Appréciation de la faute de gestion et de la négligence

La jurisprudence distingue clairement la faute de gestion, susceptible d’engager la responsabilité du dirigeant, de la simple négligence, qui ne peut donner lieu à condamnation. Le Tribunal de commerce de Grenoble a ainsi jugé, dans une affaire où le liquidateur reprochait au dirigeant des retraits financiers excessifs et l’absence de provision pour un risque prud’homal, que "le tribunal a constaté que la vente du fonds de commerce a permis de couvrir l'intégralité du passif connu et que les retraits effectués par le dirigeant étaient des remboursements de prêts familiaux, sans intention de favoriser un créancier." (Tribunal de commerce / TAE de Grenoble, 1er avril 2025, n° 2024J00480).

De même, la Cour d’appel de Rouen a jugé que la loi nouvelle, qui écarte la responsabilité du dirigeant en cas de simple négligence, s’applique immédiatement, et que la responsabilité ne peut être engagée qu’en présence d’une faute de gestion caractérisée (Cour d'appel de Rouen, Ch. civile et commerciale, 14 mars 2019, n° 18/02269).


Détermination du montant du comblement de passif

Le montant mis à la charge du dirigeant est déterminé en fonction de la part de l’insuffisance d’actif imputable à sa faute de gestion. La Cour d’appel d’Angers précise que "selon les dispositions de l'article L. 651-2 du code de commerce, il suffit que la faute de gestion ait contribué à l'insuffisance de l'actif pour que puisse être mis à la charge du dirigeant tout ou partie de cette insuffisance." (Cour d'appel d'Angers, Chambre a - commerciale, 18 janvier 2022, n° 17/02316).

Le tribunal peut donc condamner le dirigeant à supporter tout ou partie de l’insuffisance d’actif, en fonction de la gravité de la faute et de son impact sur la situation financière de la société.


Distinction avec les autres actions en responsabilité

Il est essentiel de distinguer l’action en comblement de passif des autres actions en responsabilité, notamment l’action en responsabilité civile délictuelle et l’action en réparation du préjudice causé par une infraction pénale. La Cour d’appel de Montpellier a jugé que "l’action en réparation du préjudice causé par un délit de banqueroute est distincte de l’action en comblement de passif prévue par l’article L 651-2 du code de commerce eu égard à leur objet de nature différente." (Cour d'appel de Montpellier, 10 mars 2010, 09/00993).

La Cour de cassation a confirmé cette analyse, en considérant que "si elle est en partie fondée sur les mêmes fautes de gestion, l'action en comblement de passif engagée par le liquidateur devant le tribunal de commerce a, néanmoins, un objet différent de l'action civile en réparation du préjudice résultant des infractions poursuivies." (Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 29 octobre 1996, 95-84.354, Inédit).

La Cour d’appel de Besançon a également rappelé que "les dispositions de l’article L624-3 du code de commerce, réglementant l’action en comblement de passif, ne se cumulent pas avec celles de l’article 1382 du code civil sur la responsabilité délictuelle ; la responsabilité du gérant de la société à responsabilité limitée en liquidation judiciaire, ne peut être engagée par les créanciers de cette dernière, qu’à la condition de démontrer que celui-ci a commis intentionnellement une faute d’une particulière gravité séparable de ses fonctions et incompatible avec l’exercice normal de celle-ci." (Cour d'appel de Besançon, CIV.1, du 1 mars 2006).


Illustration jurisprudentielle des conditions de l’action

La jurisprudence récente illustre la rigueur avec laquelle les juridictions apprécient les conditions de l’action en comblement de passif.

Dans une affaire jugée par la Cour d’appel de Bastia, le liquidateur avait assigné le dirigeant pour comblement de l’insuffisance d’actif, en raison de fautes de gestion. La cour a constaté qu’il n’existait pas d’insuffisance d’actif à la date où elle statuait, rendant la demande infondée, sans qu’il soit besoin de statuer sur la réalité des fautes alléguées (Cour d'appel de Bastia, 4 juin 2014, 12/00995).

À l’inverse, la Cour d’appel de Papeete a confirmé la condamnation de co-gérants à combler le passif d’une société, en retenant que les fautes de gestion, notamment le non-paiement des cotisations sociales et l’absence de tenue de la comptabilité, avaient contribué à l’insuffisance d’actif (Cour d'appel de Papeete, Chambre commerciale, 21 janvier 2010, n° 08/00031).

Enfin, la Cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion a rappelé que "les trois conditions de l'action en comblement de passif étaient en premier lieu l'existence d'une insuffisance d'actif certaine et déterminée, imputable aux défendeurs, en second lieu l'existence d'une ou de plusieurs fautes de gestion de la part de ces défendeurs, et en troisième lieu le constat de la contribution de ces fautes de gestion à l'insuffisance d'actif préalablement établi." (Cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, Chambre commerciale, 8 février 2010, n° 09/00617).


Conséquences de la condamnation et sort des sommes versées

Les sommes versées par le dirigeant condamné au titre du comblement de passif entrent dans le patrimoine du débiteur et sont réparties entre tous les créanciers, conformément à l’Article L651-2 du Code de commerce. Le dirigeant ne peut pas participer à la répartition à concurrence des sommes qu’il a versées.

L’Article L651-3 du Code de commerce précise que les dépens et frais irrépétibles auxquels a été condamné le dirigeant sont payés par priorité sur les sommes versées pour combler le passif.


Conclusion

L’action en comblement de passif est un outil puissant de protection des créanciers, mais son régime est strictement encadré par la loi et la jurisprudence. Elle ne peut être engagée qu’en présence d’une insuffisance d’actif avérée, résultant de fautes de gestion caractérisées, à l’exclusion de la simple négligence. La charge de la preuve pèse sur le liquidateur ou le ministère public, et la procédure doit respecter scrupuleusement les droits de la défense du dirigeant poursuivi. La jurisprudence rappelle que l’action en comblement de passif se distingue des autres actions en responsabilité, tant par son objet que par ses conditions de recevabilité. Les dirigeants doivent donc être particulièrement vigilants dans la gestion de la société, notamment en période de difficultés, afin d’éviter toute mise en cause de leur responsabilité personnelle.


Synthèse

 Thème

 Référence(s)

 Idée principale

 Fondement légal

 L’action en comblement de passif permet de faire supporter l’insuffisance d’actif à un ou plusieurs dirigeants en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance.

 Conditions de recevabilité

 Nécessité d’une insuffisance d’actif, d’une faute de gestion caractérisée (hors simple négligence) et d’un lien de causalité entre la faute et l’insuffisance d’actif.

 Procédure et droits de la défense

 Respect des formes procédurales et des droits de la défense du dirigeant poursuivi.

 Appréciation de la faute

 La simple négligence ne suffit pas ; la faute de gestion doit être caractérisée et avoir contribué à l’insuffisance d’actif.

 Détermination du montant

 Le tribunal peut condamner le dirigeant à supporter tout ou partie de l’insuffisance d’actif, selon la gravité de la faute.

 Distinction avec autres actions

 L’action en comblement de passif est distincte des actions en responsabilité civile ou pénale, tant par son objet que par ses conditions.

 Illustration jurisprudentielle

 Les juridictions apprécient strictement les conditions de l’action et n’hésitent pas à débouter le liquidateur en l’absence d’insuffisance d’actif ou de faute caractérisée.



Sources citées


Tribunal de commerce / TAE de Grenoble, 1er avril 2025, n° 2024J00480. Lire en ligne : https://doctrine.fr/d/TCOM/Grenoble/2025/TCOMP72B29B4A1425F67BB178



Cour d'appel de Montpellier, 10 mars 2010, 09/00993. Lire en ligne : https://doctrine.fr/d/CA/Montpellier/2010/SK58A709E5011FD2BC3D29



Cour d'appel de Bastia, 4 juin 2014, 12/00995. Lire en ligne : https://doctrine.fr/d/CA/Bastia/2014/JURITEXT000029063793



Cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, Chambre commerciale, 8 février 2010, n° 09/00617. Lire en ligne : https://doctrine.fr/d/CA/Saint-Denis_de_la_Reunion/2010/SKBBA63439E71803533E9D



Cour d'appel d'Angers, Chambre a - commerciale, 18 janvier 2022, n° 17/02316. Lire en ligne : https://doctrine.fr/d/CA/Angers/2022/C2B9D4E6AE2EA5ACB36C9



Cour d'appel d'Angers, du 2 octobre 2000, 1999/01696. Lire en ligne : https://doctrine.fr/d/CA/Angers/2000/JURITEXT000006936013



Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 29 octobre 1996, 95-84.354, Inédit. Lire en ligne :https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007569883



Cour d'appel de Rouen, Ch. civile et commerciale, 14 mars 2019, n° 18/02269. Lire en ligne : https://doctrine.fr/d/CA/Rouen/2019/C95318FBFB3C765099995



Cour d'appel de Papeete, Chambre commerciale, 21 janvier 2010, n° 08/00031. Lire en ligne : https://doctrine.fr/d/CA/Papeete/2010/SKCD04CC1CDB22747AEA72



Cour d'appel de Besançon, CIV.1, du 1 mars 2006. Lire en ligne : https://doctrine.fr/d/CA/Besancon/2006/JURITEXT000006949191



Article L651-3 du Code de commerce. Lire en ligne : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000045178205





Article R651-6 du Code de commerce. Lire en ligne : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000045921262





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