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Responsabilité du dirigeant en cas d'insuffisance d'actifs: retour sur l'arrêt Cass.Com 1er octobre 2025 n°23-12234

  • Photo du rédacteur: Kahina BENNOUR
    Kahina BENNOUR
  • 19 oct.
  • 4 min de lecture

I. Les faits et la procédure

Une société, confrontée à de graves difficultés financières, a été placée en liquidation judiciaire.Constatant que l’actif disponible ne permettait pas de désintéresser les créanciers, le liquidateur judiciaire a introduit une action en comblement de passif contre le dirigeant de droit, sur le fondement de l’article L.651-2 du Code de commerce, en lui reprochant plusieurs fautes de gestion :

  • la poursuite d’une activité manifestement déficitaire,

  • la tenue irrégulière de la comptabilité,

  • et l’absence de déclaration de cessation des paiements dans les délais légaux.

Le tribunal de commerce, puis la cour d’appel, ont condamné le dirigeant à combler partiellement l’insuffisance d’actif constatée.Celui-ci a formé un pourvoi en cassation, soutenant que les juges auraient dû prendre en considération sa situation patrimoniale et ses revenus personnels pour fixer le montant de la condamnation, celle-ci excédant selon lui ses capacités financières.


Action en comblement de passif

II. Le problème de droit: quelle responsabilité du dirigeant en cas d'insuffisance d'actifs?

La question posée à la Cour de cassation était la suivante :

Le juge, lorsqu’il condamne un dirigeant à combler l’insuffisance d’actif de la société, doit-il tenir compte du patrimoine et des revenus personnels du dirigeant fautif pour fixer le montant de la condamnation ?

III. La solution de la Cour de cassation

Par un arrêt du 1er octobre 2025 (n° 23-12.234), la Chambre commerciale de la Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle énonce que :

« Pour fixer le montant de la condamnation prononcée contre le dirigeant en application de l’article L.651-2 du Code de commerce, le tribunal doit apprécier la gravité et le nombre des fautes de gestion commises, sans avoir à tenir compte du patrimoine et des revenus personnels du dirigeant fautif. »

Ainsi, la Haute juridiction confirme que le montant de la condamnation n’a pas de caractère indemnitaire ni proportionnel à la capacité contributive du dirigeant, mais repose uniquement sur l’évaluation de la gravité des fautes de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif.


IV. Analyse et portée de la décision


A. Une clarification du critère d’évaluation de la condamnation

L’arrêt du 1er octobre 2025 s’inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence antérieure (notamment Cass. com., 15 déc. 2021, n° 19-21.324), qui considère que la condamnation au titre de l’article L.651-2 du Code de commerce revêt un caractère de responsabilité civile spéciale, visant à réparer le préjudice collectif subi par les créanciers en raison des fautes de gestion du dirigeant.

La Cour rappelle ici que la finalité de cette action n’est pas de sanctionner moralement ou personnellement le dirigeant, mais de reconstituer partiellement l’actif social, en fonction de la part de responsabilité qui lui est imputable.

Par conséquent, la situation financière personnelle du dirigeant est étrangère à l’appréciation du juge : ce dernier doit uniquement mesurer la gravité objective des fautes commises et leur impact causal sur l’insuffisance d’actif.


B. Une décision de rigueur dans la protection des créanciers

Cette solution renforce la protection des créanciers et la sévérité du contrôle judiciaire sur les dirigeants fautifs.En écartant toute prise en compte des revenus ou du patrimoine, la Cour affirme la nature réparatrice et objective de la mesure : le montant de la condamnation doit correspondre à la part de l’insuffisance d’actif causée par la gestion fautive, non à ce que le dirigeant peut supporter.

Cela signifie qu’un dirigeant, même modeste, peut être condamné à des sommes élevées si ses fautes sont graves, tandis qu’un dirigeant fortuné pourra, inversement, n’être condamné qu’à une somme moindre si sa responsabilité est partielle.

Cette approche, bien que critiquée pour sa rigidité, présente l’avantage d’assurer une égalité de traitement entre dirigeants, indépendamment de leur situation personnelle.


C. Une portée pratique importante pour les praticiens

Pour les liquidateurs judiciaires, cette décision constitue un fondement clair pour évaluer le quantum des demandes en comblement de passif : la stratégie doit se concentrer sur la démonstration précise des fautes de gestion et de leur lien de causalité avec l’insuffisance d’actif. La responsabilité du dirigeant est donc précisée en cas d'insuffisance d'actifs: son patrimoine ne doit pas être pris en compte.

Pour les avocats de dirigeants, elle impose de bâtir la défense non sur l’état patrimonial du client, mais sur la contestabilité de la faute ou de son lien causal avec le préjudice collectif.

Enfin, sur le plan théorique, cette solution confirme la spécificité du régime de l’article L.651-2 du Code de commerce, situé à mi-chemin entre la responsabilité civile délictuelle et la sanction quasi-pénale : une responsabilité objective, fondée sur la gestion défaillante, et non sur les moyens économiques du débiteur.


V. Portée générale

Par cet arrêt, la Cour de cassation confirme une conception exigeante du rôle du dirigeant en procédure collective :

La gravité des fautes de gestion détermine seule l’étendue de la contribution au passif, indépendamment de toute considération de fortune personnelle.

Cette décision, qui s’inscrit dans une tendance de renforcement de la moralisation de la vie des affaires, rappelle qu’en cas de difficultés financières, le dirigeant doit agir avec prudence, transparence et diligence.À défaut, il s’expose à une responsabilité financière lourde, même après la disparition de la société.



⚖️ En synthèse

  • Base légale : article L.651-2 du Code de commerce

  • Principe dégagé : la gravité et le nombre des fautes de gestion déterminent le montant de la condamnation, non le patrimoine du dirigeant.

  • Effet : renforcement de la responsabilité personnelle des dirigeants en liquidation judiciaire.

  • Intérêt pratique : la défense doit se concentrer sur la contestation du lien de causalité entre la faute et l’insuffisance d’actif, non sur la situation financière du dirigeant.

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