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Arrêt Biophytis et Negma du 9 juillet 2025 : conséquence de l'absence d'agrément en qualité de prestataire de service d'investissement

  • Photo du rédacteur: Kahina BENNOUR
    Kahina BENNOUR
  • 1 août
  • 8 min de lecture

Dernière mise à jour : 2 août


L’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 9 juillet 2025 dans l’affaire opposant la société Biophytis à la société Negma Group LTD constitue une décision de référence en matière de contrats de financement par obligations remboursables en numéraire ou en actions (ORNANE) et d’application de la réglementation des prestataires de services d’investissement. Cette décision, très attendue par les praticiens du droit financier, clarifie la sanction applicable à l’absence d’agrément d’un opérateur intervenant dans des opérations relevant du monopole des prestataires de services d’investissement. Elle s’inscrit dans un contexte de multiplication des contentieux relatifs à la validité des opérations de financement innovantes sur les marchés financiers, et vient préciser la portée des textes du code monétaire et financier en la matière.

Dès lors, il convient de revenir sur le cadre législatif applicable, puis d’analyser en détail la solution retenue par la Cour de cassation, avant d’envisager les conséquences pratiques de cet arrêt pour les acteurs du marché.



Obligations convertibles

Cadre législatif applicable aux opérations de financement par obligations convertibles

Le contentieux opposant la société de biotechnologie Biophytis à la société Negma Group LTD s’inscrit dans le champ des opérations de financement par émission d’obligations convertibles, mécanisme fréquemment utilisé par les sociétés cotées pour lever des fonds tout en offrant aux investisseurs la possibilité de convertir leurs obligations en actions. Ces opérations sont strictement encadrées par le code monétaire et financier, qui réserve certaines activités aux prestataires de services d’investissement dûment agréés.

Selon l'Article L532-8 du Code monétaire et financier, "Le ministre chargé de l'économie précise les conditions d'application des articles L. 532-6 et L. 532-7. Il fixe notamment les modalités selon lesquelles : a) Les décisions de retrait d'agrément et de radiation sont portées à la connaissance du public ; b) Les instruments financiers inscrits en compte auprès de l'entreprise peuvent être transférés chez un prestataire de services d'investissement autre qu'une société de gestion de portefeuille ou chez la personne morale émettrice.".

Ce texte s’inscrit dans un ensemble plus large de dispositions qui imposent l’agrément préalable des prestataires de services d’investissement, notamment pour la fourniture de services d’investissement au sens des articles L. 321-1 et L. 532-1 du code monétaire et financier. L’absence d’agrément expose l’opérateur à des sanctions administratives et pénales, mais la question de la nullité des actes passés en méconnaissance de cette obligation restait discutée.

Les faits de l’affaire Biophytis / Negma : contexte et enjeux

Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 9 juillet 2025, la société Biophytis, société de biotechnologie cotée, avait conclu avec la société Negma Group LTD, société de droit des Iles Vierges britanniques, un contrat de financement par émission d’obligations remboursables en numéraire ou en actions. À la suite de la conversion de plusieurs tranches d’obligations en actions, la société Biophytis a constaté que la société Negma revendait systématiquement les actions obtenues, ce qui aurait eu un effet baissier sur le cours de bourse de ses titres. Invoquant ce comportement, Biophytis a résilié le contrat et, dans le cadre du contentieux, a demandé la nullité du contrat pour violation de la réglementation applicable aux prestataires de services d’investissement, au motif que Negma n’était pas agréée en cette qualité.

La question centrale soumise à la Cour de cassation était donc de savoir si l’absence d’agrément d’un opérateur, dans le cadre d’une opération relevant du monopole des prestataires de services d’investissement, entraîne la nullité du contrat conclu.

La jurisprudence : analyse détaillée de l’arrêt du 9 juillet 2025

La Cour de cassation, dans son arrêt du 9 juillet 2025, a rejeté la demande de nullité du contrat formée par la société Biophytis. Elle a jugé que l’absence d’agrément d’un opérateur, même lorsqu’il intervient dans une opération relevant du monopole des prestataires de services d’investissement, n’entraîne pas automatiquement la nullité du contrat conclu, mais peut engager la responsabilité civile de l’opérateur non agréé.

Plus précisément, l’arrêt énonce que :

 : "5. A compter du 12 février 2020 et jusqu'au 9 avril 2020, la société Negma a formé des demandes de remboursement en actions de la deuxième tranche de financement par la conversion des obligations souscrites en actions. Ces demandes n'ont été que partiellement exécutées par la société Biophytis. 6. Le 6 avril 2020, reprochant à la société Negma la revente systématique sur les marchés financiers des actions obtenues à la suite de la conversion de ses obligations et son effet baissier sur le cours de bourse de ses titres, la société Biophytis a résilié le contrat conclu le 21 août 2019. 7. Le 6 juin 2020, la société Negma a assigné la société Biophytis en paiement d'une somme au titre des compensations dues en exécution du contrat et en livraison de sept millions d'actions en conséquence de la conversion de ses obligations. La société Biophytis a, reconventionnellement, demandé, à titre principal, la nullité du contrat pour violation de la réglementation applicable aux prestataires de services d'investissement, en particulier de l'obligation d'être agréé, et la nullité du mécanisme de conversion des ORNANE avec BSA en arguant de son caractère potestatif, et, à titre subsidiaire, des dommages et intérêts en invoquant divers préjudices, dont ceux résultant du défaut d'agrément de la société Negma comme prestataire de services d'investissement. Sur le premier moyen, pris en sa quatrième branche, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de rejeter la demande de nullité du contrat Enoncé du moyen 8. La société Biophytis fait grief à l'arrêt de rejeter la demande d'annulation du contrat pour violation, par la société Negma, de la réglementation applicable aux prestataires de services d'investissement, alors « que la sanction de la réalisation d'une opération relevant d'une activité subordonnée à l'agrément de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution par un opérateur dépourvu d'agrément réside dans l'annulation de ladite opération ; qu'au cas présent, le premier juge a retenu, « surabondamment », au contraire, que « cette absence d'agrément ne serait pas de nature à entraîner la nullité du contrat pour violation par Negma de la réglementation applicable aux prestataires de services d'investissement » ; qu'en statuant ainsi, par motif éventuellement adopté du premier juge, la cour d'appel a violé les articles L. 321-1 et D. 321-1 du code monétaire et financier, l'article L. 532-1 du même code, ensemble les articles 1128, 1178 et 1179 du code civil, lus à la lumière de l'article 5 de la directive 2014/65. » Réponse de la Cour"

La Cour de cassation confirme ainsi la position de la cour d’appel, qui avait estimé que l’absence d’agrément ne justifiait pas la nullité du contrat, mais pouvait ouvrir droit à une action en responsabilité civile contre l’opérateur non agréé. Cette solution s’inscrit dans la lignée d’une jurisprudence constante tendant à limiter la nullité des actes passés en violation de règles d’ordre public à l’hypothèse où la loi le prévoit expressément ou lorsque la finalité de la règle l’exige impérieusement.

Portée de l’arrêt et articulation avec les autres décisions et textes applicables

L’arrêt Biophytis / Negma s’inscrit dans un mouvement jurisprudentiel visant à sécuriser les opérations de marché et à éviter une remise en cause systématique des contrats pour des motifs tenant à la seule absence d’agrément d’un opérateur. Cette approche pragmatique est cohérente avec la volonté du législateur de protéger la stabilité des marchés financiers tout en sanctionnant les comportements illicites par la voie de la responsabilité civile ou administrative.

La solution retenue par la Cour de cassation trouve un écho dans d’autres décisions récentes, qui insistent sur la nécessité pour les prestataires de services d’investissement de respecter leurs obligations professionnelles, sous peine de sanctions administratives ou civiles, mais sans remettre en cause la validité des actes passés avec des tiers de bonne foi.

Ainsi, la Décision de la Commission des sanctions du 19 juin 2023 à l'égard de la Banque CIC SUD-OUEST rappelle que "Les entreprises d'investissement informent, sur un support durable, tout client de son droit à demander une catégorisation différente et des limites de la protection dont il bénéficierait s'il changeait de catégorie." Cette décision met en lumière l’importance du respect des obligations d’information et de catégorisation des clients, mais ne prévoit pas la nullité des opérations en cas de manquement, préférant recourir à des sanctions pécuniaires et disciplinaires.

De même, la Décision de la Commission des sanctions du 21 septembre 2012 à l'égard de M. B et de la société X souligne que la commercialisation de fonds non autorisés expose l’opérateur à des sanctions, mais n’entraîne pas nécessairement la nullité des actes passés avec les investisseurs, sauf en cas de fraude ou de manœuvres dolosives.

La jurisprudence administrative, à travers la Conseil d'État, Assemblée, 21 mars 2016, 368082, Publié au recueil Lebon, rappelle que les actes des autorités de régulation, tels que les communiqués de l’Autorité des marchés financiers, peuvent faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir, mais que la légalité de ces actes n’affecte pas directement la validité des contrats conclus sur le marché, sauf disposition expresse en ce sens.

Enfin, la Conseil d'État, 6ème - 5ème chambres réunies, 17 février 2023, 445507 confirme que la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers est compétente pour sanctionner les manquements aux obligations professionnelles, y compris à l’encontre des dirigeants de sociétés ayant fait l’objet d’un retrait d’agrément, mais n’annule pas pour autant les actes passés antérieurement.

Conséquences pratiques pour les acteurs du marché

L’arrêt Biophytis / Negma du 9 juillet 2025 présente plusieurs enseignements majeurs pour les sociétés cotées, les investisseurs et les prestataires de services d’investissement.

D’une part, il confirme que l’absence d’agrément d’un opérateur n’entraîne pas la nullité automatique des contrats conclus, ce qui sécurise les opérations de financement innovantes et protège les intérêts des parties de bonne foi. D’autre part, il rappelle que l’opérateur non agréé s’expose à une action en responsabilité civile, ainsi qu’à des sanctions administratives et pénales, ce qui incite à la vigilance et au respect scrupuleux des obligations réglementaires.

Les sociétés émettrices doivent donc s’assurer de la qualité et de l’agrément de leurs partenaires financiers, sous peine de voir leur responsabilité engagée en cas de manquement. Les investisseurs, quant à eux, bénéficient d’une protection accrue contre les pratiques illicites, sans pour autant pouvoir remettre en cause la validité des opérations conclues, sauf en cas de fraude avérée.

Conclusion

L’arrêt Biophytis / Negma du 9 juillet 2025 marque une étape importante dans la construction d’un droit des marchés financiers équilibré, conciliant la sécurité des opérations et la sanction des comportements illicites. En refusant de prononcer la nullité du contrat pour absence d’agrément, la Cour de cassation privilégie la stabilité contractuelle et la responsabilité civile, tout en rappelant la nécessité pour les opérateurs de se conformer strictement aux exigences du code monétaire et financier. Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence constante, qui tend à réserver la nullité des actes aux hypothèses expressément prévues par la loi ou justifiées par la finalité de la règle violée, et à privilégier les sanctions administratives et civiles pour garantir la protection des investisseurs et la confiance dans les marchés financiers.


Synthèse

 Thème

 Référence

 Enseignement principal

 Cadre légal de l’agrément

 L’agrément est requis pour les prestataires de services d’investissement, mais la sanction de l’absence d’agrément n’est pas nécessairement la nullité du contrat.

 Faits et procédure

 Biophytis a demandé la nullité d’un contrat de financement pour absence d’agrément de Negma ; la Cour de cassation a rejeté cette demande.

 Sanction de l’absence d’agrément

 L’absence d’agrément n’entraîne pas la nullité du contrat, mais peut engager la responsabilité civile de l’opérateur non agréé.

 Obligations professionnelles des PSI

 Les manquements aux obligations professionnelles sont sanctionnés par des mesures administratives, non par la nullité des actes.

 Commercialisation de fonds non autorisés

 La commercialisation de fonds non autorisés expose à des sanctions, mais pas à la nullité automatique des contrats.

 Recours contre les actes de l’AMF

 Les actes de l’AMF peuvent être contestés, mais leur illégalité n’entraîne pas la nullité des contrats conclus sur le marché.

 Compétence de la commission des sanctions

 La commission des sanctions peut sanctionner les manquements, mais n’annule pas les actes passés.

Cet arrêt s’impose désormais comme une référence pour tous les praticiens du droit des marchés financiers, en clarifiant la portée de l’absence d’agrément et en sécurisant les opérations de financement innovantes.



Sources citées


Cour de cassation, Chambre commerciale, 9 juillet 2025, 23-15.492, Publié au bulletin. Lire en ligne : https://www.courdecassation.fr/decision/686e0291e0a6f0ca1546efc8


Article L532-8 du Code monétaire et financier. Lire en ligne :



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