Interdiction de gérer : comment se défendre ?
- Kahina BENNOUR
- 19 sept.
- 5 min de lecture
L’interdiction de gérer est une sanction lourde pour un dirigeant. Découvrez comment la contester, quels moyens de défense utiliser, le rôle du liquidateur et du procureur, ainsi que les solutions en cas de condamnation.
Introduction
Être frappé d’une interdiction de gérer constitue une véritable épreuve pour tout dirigeant d’entreprise. Cette sanction, prononcée par le tribunal de commerce à l’issue d’une procédure collective, prive l’intéressé de la possibilité de diriger, gérer, administrer ou contrôler une société. D’une durée pouvant aller de cinq à quinze ans, elle remet en cause tout avenir entrepreneurial. Pourtant, cette sanction n’est pas automatique et il existe des moyens pour se défendre et la contester efficacement.

Le cadre légal de l’interdiction de gérer
L’interdiction de gérer est prévue par les articles L. 653-1 et suivants du Code de commerce. Elle vise les dirigeants qui ont commis des fautes de gestion graves ayant contribué aux difficultés de la société ou qui ont manqué à leurs obligations légales. Parmi les comportements visés figurent la déclaration tardive de cessation des paiements, l’absence ou l’irrégularité de la comptabilité, la dissimulation d’actifs ou encore des actes frauduleux au détriment des créanciers. Cette sanction est prononcée par le tribunal dans le cadre de la liquidation judiciaire, après examen du comportement du dirigeant. Elle se distingue de la faillite personnelle, mais ses effets pratiques sont similaires : elle empêche d’exercer tout rôle de gestion dans une entreprise, ce qui constitue une véritable mise à l’écart de la vie économique.
Les conséquences de l’interdiction de gérer
Être frappé d’une interdiction de gérer signifie qu’il n’est plus possible de diriger une société, de créer une entreprise individuelle ou d’exercer un mandat social. Le dirigeant se retrouve donc dans l’incapacité d’assumer des fonctions essentielles à la vie des affaires. Le non-respect de cette interdiction est d’ailleurs sanctionné pénalement, l’article L. 653-11 du Code de commerce prévoyant des peines d’amende et d’emprisonnement pour toute personne qui, malgré l’interdiction, continue à gérer une entreprise.
Comment se défendre contre une interdiction de gérer ?
La première ligne de défense consiste à contester la réalité ou la gravité des fautes reprochées. Le tribunal ne peut prononcer une telle mesure qu’en présence d’éléments précis et établis. Ainsi, si l’on reproche à un dirigeant l’absence de comptabilité, il appartient au liquidateur de démontrer concrètement que les documents comptables n’existaient pas ou étaient irréguliers. La Cour de cassation a rappelé, par un arrêt du 8 mars 2017 (n° 15-24.654), que le juge doit caractériser les manquements de manière factuelle et non se contenter d’allégations générales.
La défense peut également s’appuyer sur le principe de proportionnalité. L’interdiction de gérer est une sanction grave et doit être proportionnée aux fautes commises. Par exemple, un simple retard dans la déclaration de cessation des paiements ne peut justifier la même sévérité qu’un détournement frauduleux d’actifs. La jurisprudence souligne régulièrement que les juges doivent motiver leur décision en fonction de la gravité et de la nature des fautes. Ainsi, dans un arrêt du 17 juin 2020 (n° 19-10.341), la Cour de cassation a cassé une décision qui avait prononcé une interdiction sans démontrer suffisamment la gravité des faits reprochés.
Le dirigeant peut également mettre en avant sa bonne foi. Il arrive que les difficultés d’une entreprise soient liées à des circonstances économiques extérieures, telles que la perte d’un client majeur, une crise sectorielle ou encore la pandémie de Covid-19, plutôt qu’à des manquements de gestion. En démontrant que les fautes reprochées ne sont pas la cause principale de la faillite mais que la société a été victime de facteurs exogènes, le dirigeant peut obtenir un allègement, voire l’écartement de la sanction.
Enfin, il est toujours possible de contester la décision du tribunal de commerce en interjetant appel. L’appel permet à la Cour d’appel de réexaminer l’affaire dans son ensemble, tant sur le plan des faits que du droit. Cette voie de recours est précieuse, car elle donne une seconde chance de faire valoir ses arguments et d’apporter de nouveaux éléments de preuve.
Le rôle du liquidateur et du ministère public
L’interdiction de gérer n’est pas prononcée spontanément par le tribunal : elle résulte d’une demande. En pratique, le liquidateur judiciaire joue un rôle central. Dans le cadre de ses investigations, il analyse la gestion passée du dirigeant et établit un rapport destiné au tribunal. S’il estime que des fautes graves ont été commises, il peut saisir la juridiction pour solliciter une sanction personnelle, telle que l’interdiction de gérer ou la faillite personnelle. Ses conclusions et observations sont donc déterminantes, car elles fondent souvent la décision du juge.
Le ministère public, représenté par le procureur de la République, dispose également d’un pouvoir d’initiative. Il peut intervenir de sa propre initiative ou sur la base des informations transmises par le liquidateur. Le procureur défend l’intérêt général et la régularité des affaires commerciales, et il peut requérir directement une interdiction de gérer si les comportements du dirigeant apparaissent gravement contraires aux intérêts des créanciers ou à l’ordre économique. Le cumul des actions du liquidateur et du ministère public accentue ainsi le risque pour le dirigeant d’être poursuivi et condamné à une telle sanction.
Comment anticiper et limiter les risques ?
La meilleure défense reste souvent la prévention. Un dirigeant qui respecte ses obligations légales et fait preuve de transparence limite considérablement le risque d’être frappé d’une interdiction de gérer. Il est essentiel de déclarer la cessation des paiements dans le délai légal de 45 jours prévu à l’article L. 631-4 du Code de commerce, de tenir une comptabilité régulière et sincère et de veiller à ne pas mélanger patrimoine personnel et patrimoine social. L’accompagnement par un avocat en procédures collectives permet également d’adopter les bons réflexes dès l’apparition des difficultés et d’éviter de se retrouver en position de faiblesse devant le tribunal.
Et que faire si l’on a déjà été condamné ?
Lorsqu’un dirigeant a déjà été condamné à une interdiction de gérer, des solutions existent. Il est d’abord possible de former appel de la décision, dans le délai légal, afin d’obtenir son annulation ou sa réduction devant la Cour d’appel. Si ce délai est expiré, un pourvoi en cassation peut être envisagé lorsque la décision de la cour d’appel soulève un point de droit. En outre, le Code de commerce permet au dirigeant condamné de demander un relèvement total ou partiel de l’interdiction. Cette requête doit être appuyée par des preuves de sa bonne conduite depuis la condamnation ou par des circonstances nouvelles qui rendent le maintien de la sanction injustifié. Enfin, lorsque la durée de l’interdiction est arrivée à son terme, il est indispensable de s’assurer auprès du greffe que toutes les mentions sont radiées afin de recouvrer pleinement sa capacité de gestion.
Conclusion
L’interdiction de gérer est une sanction redoutable qui peut ruiner une carrière de dirigeant. Cependant, elle n’est pas automatique et de nombreux moyens de défense existent. Contester la matérialité des fautes, démontrer leur absence de gravité, mettre en avant la bonne foi ou saisir la cour d’appel sont autant de stratégies permettant de protéger ses droits. Et même lorsqu’une condamnation est déjà intervenue, il demeure possible de demander un relèvement ou d’exercer des recours. Dans tous les cas, il est fortement recommandé de se faire assister par un avocat spécialisé, capable de construire une argumentation solide et de rappeler au tribunal l’exigence de proportionnalité posée par la jurisprudence.
Face à une menace ou une condamnation à une interdiction de gérer, la défense proactive et l’accompagnement juridique constituent les meilleures armes pour préserver son avenir entrepreneurial.


